Poèmes glanés


Le zèbre 

Le zèbre, cheval des ténèbres,
Lève le pied, ferme les yeux
Et fait résonner ses vertèbres
En hennissant d’un air joyeux.

Au clair soleil de Barbarie,
Il sort alors de l’écurie
Et va brouter dans la prairie
Les herbes de sorcellerie.

Mais la prison sur son pelage,
A laissé l’ombre du grillage.

Robert Desnos 

IL ÉTAIT UNE FEUILLE...
 
Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de cœur

Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de cœur - 

Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
digne de chance
digne de cœur
cœur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit. 

Il était des racines au bout de l’arbre
Racines vignes de vie
vignes de chance
vignes de cœur

Au bout des racines il était la terre
La terre tout court
La terre toute ronde
La terre toute seule au travers du ciel
La terre.
 
Robert Desnos




La cigale et la fourmi 

La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'août, foi d'animal,
Intérêt et principal. "
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien! dansez maintenant.

Jean de la Fontaine

 Le cancre

Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le coeur
Il dit oui à ce qu'il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur

Jacques Prévert 



PETIT POÈME POUR Y ALLER                

                              dit  par sandrine Bonnaire ICI  



Un poème parfois, ce n’est pas grand-chose.

Un insecte sur ta peau dont tu écoutes la musique des pattes.

La sirène d’un bateau suivie par des oiseaux, ou un pli de vagues.

Un arbre un peu tordu qui parle pourtant du soleil.

Ou souviens-toi, ces mots tracés sur un mur de ta rue :
« Sois libre et ne te tais pas ! ».

Un poème parfois, ce n’est pas grand-chose.

Pas une longue chanson, mais assez de musique pour partir
en promenade ou sur une étoile,
à vue de rêve ou de passant.

C’est un aller qui part sans son retour
pour voir de quoi le monde est fait.

C’est le sourire des inconnus
au coin d’une heure, d’une avenue.

Au fond, un poème, c’est souvent ça,
de simples regards, des mouvements de lèvres,

la façon dont tu peux caresser une aile, une peau, une carapace,

dont tu salues encore ce bateau qui ouvre à peine les yeux,

dont tu peux tendre une main ou une banderole,

et aussi la manière dont tu te diras :
« Courage ! Sur le chemin que j’ai choisi, j’y vais, j’y suis ! ».

Un poème, à la fois, ce n’est pas grand-chose
et tout l’univers.
Carl Norac, inédit, pour le 22e Printemps des Poète / Le Courag

 SI LES POÈTES ÉTAIENT MOINS BÊTES


Si les poètes étaient moins bêtes
Et s’ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s’occuper en paix
De leurs souffrances littéraires


Ils construiraient des maisons jaunes
Avec des grands jardins devant
Et des arbres pleins de zoizeaux
Des mirliflûtes et des lizeaux
Des mésongres et des feuvertes
Des plumuches, des picassiettes
Et des petits corbeaux tout rouges
Qui diraient la bonne aventure


Il y aurait de grands jets d’eau
Avec des lumières dedans
Il y aurait deux cents poissons
Depuis le crousque au ramusson
De la libelle au pépamule
De l’orphie au rara curule
Et de l’avoile au canisson


Il y aurait de l’air tout neuf
Parfumé de l’odeur des feuilles
On mangerait quand on voudrait
Et l’on travaillerait sans hâte
À construire des escaliers
Des formes encor jamais vues
Avec des bois veinés de mauve
Lisses comme elle sous les doigts


Mais les poètes sont très bêtes
Ils écrivent pour commencer
Au lieu de s’mettre à travailler
Et ça leur donne des remords
Qu’ils conservent jusqu’à la mort
Ravis d’avoir tellement souffert
On leur donne des grands discours
Et on les oublie en un jour
Mais s’ils étaient moins paresseux
On ne les oublierait qu’en deux.


Boris VIAN


PLUS HAUT

Ne baisse pas les bras,
ils sont faits pour voler.
Laisse tes pieds partir,
ils sont faits pour chercher.
Laisse ta voix plus haut,
La chanson va passer.
Doucement, sois au monde.
Tu quittes ton écran,
tu vas où sont les autres,
tu es déçu parfois,
tu dis : « Les bras m’en tombent. »
Ne baisse pas les bras,
Ils sont faits pour voler.
Laisse tes pieds partir,
Ils sont faits pour chercher.
Laisse ta voix plus haut,
La chanson va passer.
Ardemment, sois au monde.
Carl NORAC,
Le livre des beautés minuscules
Éditions Rue du Monde





Les hiboux

Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.

Leurs yeux d’or valent des bijoux,
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? les Andalous ?
Ou dans la cabane Bambou ?
À Moscou ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout c’était chez les fous.

>>>>>>>>>>>>>>>>Robert Desnos


Chanson pour les enfants d'hiver


Dans la nuit de l'hiver
Galope un grand homme blanc.
C'est un bonhomme de neige
Avec une pipe en bois
Un grand bonhomme de neige
Poursuivi par le froid.
Il arrive au village
Voyant de la lumière, le voilà rassuré.
Dans une petite maison, il entre sans frapper.
Et pour se réchauffer
S'asseoit sur le poêle rouge
Et d'un coup disparaît.
Ne laissant que sa pipe
au milieu d'une flaque d'eau
Ne laissant que sa pipe
et puis son vieux chapeau.
 

Jacques Prévert


Noël des ramasseurs de neige


Mais v’là la neige qui tombe
Qui tombe de tout en haut
Elle va se faire mal
En tombant de si haut

Ohé ohé ého


Pauvre neige nouvelle
Courons courons vers elle
Courons avec nos pelles
Courons la ramasser
Puisque c’est notre métier

Ohé ohé ohé


Jolie neige nouvelle
Toi qu’arrives du ciel
Dis-nous dis-nous la belle

Ohé ohé ohé


Quand est-ce qu’à Noël
Tomberont de là-haut
Des dindes de Noël
Avec leurs dindonneaux

Ohé ohé ého


Jacques Prévert

La pluie et le beau temps

Gallimard



Nuit de neige

La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
[...]
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.

Guy de Maupassant




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